Le sentiment

– Tes rênes ne doivent pas peser plus lourd que le poids d’un oiseau.
Perchée sur ma jument qui a pris le trot et pèse allègrement sur son mors, je tente de comprendre ce que mon maître d’équitation tient à m’enseigner depuis des mois : la légèreté. Comment diriger 950 kilos du bout des doigts ? Comment ne pas lui imposer ma présence, mais travailler avec elle ? Comment lui faire sentir ce que je veux, plutôt que de le lui indiquer ? Une nouvelle fois, j’essaye, me redresse, laisse filer les rênes sans perdre le contact, enveloppe ses flancs de mes jambes. Et soudain, la magie opère, oh, juste sur quelques foulées ! Je me sens centaure : elle est mes jambes, je suis sa tête. Si je tourne la mienne, elle suit mon mouvement, mâchonne son mors, baisse son encolure pour me dire qu’elle se décontracte. J’ai soudain le sentiment que ce moment est l’un de ces instants parfaits qui jalonnent nos vies.

Instant magique
Bien des années plus tard, mon maître d’équitation n’est plus, ma jument non plus, mais il reste au fond de moi ces instants magiques où l’émotion a cédé la place au sentiment, à cette impression sublime du beau, du vrai, du juste. Aujourd’hui, quand je couche mes mots sur le papier, je repense à cet homme qui m’a appris à monter à cheval en écoutant ma monture, mais aussi en lisant tous ces livres qu’il me prêtait. Et j’ai la prétention de penser que, parfois peut-être, j’arrive à vous procurer cette émotion à travers mes mots.

Décrire des émotions
Ces dernières années, on parle beaucoup des émotions. On semble avoir compris qu’il valait mieux les exprimer et apprendre à écouter celles des autres afin de mieux vivre tous ensemble. Dans l’écriture, la question ne se pose pas. On sait depuis longtemps que les émotions sont le socle d’un bon roman et que les auteurs sont bien souvent des personnes très empathiques, capables de se mettre à la place de leur personnage au point de souffrir, aimer ou tout simplement vivre les mêmes émotions qu’eux. Nous sommes nombreux à avoir déjà eu peur en écrivant, à pleurer devant notre écran, ou à sourire béatement lorsque nos deux héros surmontent les dernières épreuves.

Émotion et sentiment : quelle différence ?
L’émotion est une réaction physique de notre corps qui répond à un stimulus extérieur et va nous pousser à sortir (ou pas) d’une situation inconfortable (ou pas !). Elle nous permet d’agir rapidement pour fuir, se battre, se cacher, éviter de manger un aliment suspect, ou bien nous dit tout simplement qu’on est super bien et qu’on peut le communiquer à ceux qui nous entourent. Il n’existe que sept émotions de base : la joie, la tristesse, la colère, la peur, la surprise, le dégoût et la honte.
Le sentiment, lui, est une élaboration psychique qui résulte souvent d’une ou plusieurs émotions. On peut même chercher à l’entretenir pendant des années. Je pense tout particulièrement aux personnes qui cherchent à trouver un sentiment de plénitude, par exemple.

Un auteur travaille beaucoup sur les émotions de ses personnages pour leur créer des sentiments qui pourront, à terme, les pousser à de terribles vengeances ou encore les amener à se croire invisibles, supérieurs aux autres, etc… Tous ces sentiments se développent chez les personnages. Mais on peut aussi trouver un sentiment au sein même du texte.

Le sentiment dans un texte, c’est quoi ?
En tant qu’auteure j’estime c’est mon rapport au texte, mon rapport au beau (donc très subjectif !), la phrase qui chante dans mes oreilles, ma petite voix intérieure capable de me dire si le rythme des mots est bon, mon âme de poète (ouaiiiiis, carrément !) qui se réveille, et la transmission de tout cela au lecteur.
Lecteur qui, en plus de comprendre les émotions qui animent les personnages, pourra ressentir une autre émotion liée à la qualité du texte, à la façon dont ce dernier aura de l’emporter avec lui dans l’histoire, à la satisfaction de percevoir aussi l’implicite, les non-dits, les suggestions, bref, le sentiment.

Alors oui, je sais, voici bien un article de blog assez inhabituel et qui tente de vous faire ressentir un concept qui m’est tout à fait propre. Mais avez-vous déjà éprouvé du sentiment en lisant un texte ? Vous êtes vous déjà dit que les mots étaient parfaits et procuraient au lecteur une sensation de plaisir et de beauté ? Si oui, j’aimerais beaucoup que vous me disiez (si vous vous en souvenez) quels sont les romans où vous avez croisé ce phénomène.

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